Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Le langage est un système de symboles destinés à communiquer. Dans la communication, notre pensée a besoin de s’exprimer clairement, d’où la nécessité de la raison qui articule avec cohérence notre expression. Sans cette articulation rationnelle, le langage n’exprimerait rien ou du moins rien de sensé. Cependant, il arrive que les mots viennent à nous intuitivement, sans aucune intention et pourtant après coup de leur réflexion, nous réalisons qu’ils ont autant de sens qu’un long raisonnement. Si la raison implique une volonté consciente qui ordonne la cohérence, alors comment le langage peut-il advenir d’une manière inconsciente ? Le langage peut-il se passer de la raison ? Il semble donc y avoir une contradiction entre les deux modalités du langage qu’est le rationnel et l’intuitif. Une contradiction, car l’un porte tout autant un sens que l’autre. Pour répondre à ce problème, nous allons examiner dans une première partie la nature spontanée du langage. Puis, dans une seconde partie, nous développerons autant la nécessité du langage rationnel. Enfin, dans une dernière partie, nous tenterons de dépasser cette contradiction par une perspective souvent omise sur la nature symbolique du langage.
Partie I – Le langage spontané (ne pas oublier l’interprétation herméneutique de la psychanalyse)
1. Le langage comme expression automatique
Si le langage dans son sens large est un système de signes destinés à communiquer, alors les actions instinctives qui servent à signaler les besoins de l’organisme forment un langage. En effet, tout être vivant dispose de mécanismes d’expression plus ou moins complexes qui demandent à être reconnus. L’abeille par exemple accomplit sa danse pour indiquer ou signaler où se trouve sa nourriture. Ces mécanismes, puisqu’ils sont automatiques et sans consciences, sont indépendants de la raison. On remarque que chez l’homme, le langage corporel instinctif est toujours présent. La présence corporelle d’un individu et la façon dont il la présente, renvoie à une intériorité qui veut s’exprimer. En fait, tout ce qui revêt une fonction symbolique est un langage, qu’il soit conscient ou non. Le pouvoir symbolique du langage structure en nous un style d’être automatique que nous performons inconsciemment quand on est dans une sphère sociale. La mécanique sociale conditionne les individus à jouer un jeu de rôle dont les conduites, le vestimentaire, la parole sont moins autonomes qu’automatiques. De plus, quand la conscience n’est plus en veille, que le sujet ne soit plus maître chez soi, il arrive que nos paroles contiennent non pas de simples erreurs de choix de vocabulaire, mais des sens qui échappent à notre volonté. La psychanalyse qualifie ces messages du subconscient de « lapsus ». La psychanalyse explique que nos comportements en générale portent des sens cachés qui proviennent de désirs refoulés par le tabou social. En ce sens, nos paroles ne délivrent pas toujours des sens clairs à notre conscience, on y voit jaillir involontairement des mots ironiques, inappropriés, étranges au contexte.
2. La nature intuitive du langage
Ensuite, il faut insister sur l’origine intuitive du langage dans l’ordre de la communication. Certaines personnes ont une plus grande collection de vocabulaire que d’autres et encore faut-il savoir se les rappeler. Il arrive dès lors que ceux qui peinent à exprimer leurs pensées s’expriment d’intuitions en intuitions. Le fait est que derrière cette difficulté d’expression, la pensée elle-même s’articule difficilement. On a l’intuition de ce que l’on veut dire et on finit par s’exprimer d’une manière parfois perspicace ou parfois cryptique. La perspicacité vient de la pertinence d’une intuition à définir une pensée tandis que la cryptique est cette expression paresseuse, qui semble sans queue ni tête, d’un sujet s’estimant avoir un certain droit de style d’expression. De l’un ou l’autre, quand on ne trouve pas toujours les mots exacts, on laisse le flux de nos intuitions s’exprimer aux dépens de la clarté. En ce sens, le langage ne s’organise pas d’une manière rationnelle. La raison lui est postérieure dans l’effort d’une communication claire. Ce qui signifie entre autres qu’il n’en dépend pas fondamentalement. À remarquer que les langues se diffèrent dans leur complexité. Certains font une économie syntaxique et sémantique qui troublerait d’autres, c’est pourquoi on discerne parfois injustement les dialectes et les langues officielles. Si la rationalité est partagée par tous les hommes, certains préfèrent en faire l’économie au profit de l’intuition. Le langage fictif « schtroumpf » du dessinateur belge Peyo joue avec l’ingéniosité intuitive de son ambigüité avec le Français en remplaçant des éléments clés de la phrase française par la variation du seul mot « schtroumpf ». Le génie est dans le contexte de l’expression qui invite d’une façon ludique à des devinettes intuitives plus qu’à des analyses rationnelles.
On peut affirmer que le langage n’a pas besoin de la raison dans sa visée expressive. Toutefois, si la raison signifie une pensée qui se saisit elle-même en toute transparence, l’intentionnalité du langage rationnelle n’y est-elle pas pour quelque chose ?
Partie II – La nécessité rationnelle du langage
1. Le langage est un système rationnel
Le langage ne peut rester à l’état intuitif pour se réaliser pleinement comme l’outil de communication d’un être de raison. Si le langage est un système de signes permettant la communication et l’expression de la pensée, c’est qu’il n’y a pas non plus de pensée claire et transparente à elle-même sans le langage. Discourir signifie mettre au clair sa pensée dans l’articulation cohérente de la parole. Henri Delacroix nous le résume : « La pensée fait le langage en se faisant par le langage ». Il est vrai que le langage verbal est le fruit d’une éducation performante. Dès le plus jeune âge, on nous demande de reconnaître les signes gestuels, graphiques puis symboliques et de nous approprier leur sens afin de les performer nous-mêmes. Si ces signes sont conventionnels, leur articulation n’est pas exempte d’un souci rigoureux de cohérence dans les règles syntaxiques mises en jeu. La performance verbale est encadrée par des exercices de logique grammaticale avant d’être confirmée comme maîtrisée. Dès lors, notre pensée arrive de plus en plus à s’éclaircir dans la mise en ordre des concepts de sorte qu’une véritable pensée ne peut advenir que par « un dialogue de la pensée avec elle-même », selon Platon.
2. Le langage est le produit d’une autonomie ou rien
Mais fondamentalement, parler d’un langage qui ne se saisit pas dans son expression semble absurde. Certes le lapsus, cette expression d’origine inconsciente qui s’immisce dans le discours conscient, porte un sens caché qui se dévoile devant l’interprétation psychanalytique, mais il ne peut être un véritable langage sans l’autonomie discursive du sujet signifiant. C’est ici qu’il faut distinguer, ce qui fait du langage le propre de l’homme. Un sens exprimé d’une manière inconsciente ne peut être de même nature que le signal instinctif animal. Le lapsus ne peut être une pensée, c’est un mécanisme psychique inconscient, car une pensée est ce qui se présente à la consciente où elle n’est pas « pensée ». Or, la pensée est l’articulation autonome du langage. Pour penser, il ne suffit pas de faire jaillir n’importe comment la sémantique, il faut avoir une syntaxe pour former un discours. La syntaxe est un ensemble de règles rationnelles qui organisent les notions en une suite propositionnelle qui a une intention.
Un langage qui ne serait pas rationnel ne serait pas un langage du fait que celui-ci apporte la cohérence et fait preuve de l’autonomie d’un sujet qui veut se faire entendre clairement. Toutefois, ce genre de communication est-il véritablement la fin en soi d’un langage ? Le langage n’est-il pas purement une traduction de notre intériorité psychique ?
Partie III – Le langage comme une pure expression
1. L’intuition implique, la raison explique
Qu’en est-il exactement du rapport entre intuition et raison dans le langage ? L’intuition est la perspicacité d’un esprit si vif que la pensée ne peut en saisir que le produit et non le processus. C’est pourquoi ce n’est qu’après coup que la raison ou encore la pensée qui se saisit dans sa démarche, l’analyse et la formule nettement. Il ne faut pas confondre intuition et instinct. Si l’instinct est un mécanisme involontaire que l’organisme exige en vue d’un besoin, l’intuition qui est certes inconsciente dans son processus, reste l’effet d’une stimulation volontaire. Elle n’apparaît pas sans l’intention d’une observation, d’une réflexion, d’une analyse, bref d’une pensée. On ne dit pas avoir une intuition sans un souci à l’esprit. L’intuition répond à un problème qu’il soit théorique ou pratique. Dans ce sens, la pensée ne peut d’abord se manifester qu’intuitivement. On remarque avant de parler que les mots viennent à l’esprit. Sur papier, les phrases nous sont plus conscientes et sont plus ouvertes à un développement. De là, commence le rôle de la raison. La rationalité à l’œuvre est un développement détaillé, voire une extension qui exploite tout le potentiel de l’intuition. Ainsi, le psychanalyste, le critique d’art, le philologue et d’autres interprètes du symbolisme linguistique vont tenter d’expliciter dans un souci de vulgarisation rationnelle les transpositions symboliques de nos pensées. On peut dire que si la pensée est un diamant brut, la raison le taille à la mesure de la communication. Mais qui dit traduction rationnelle, dit réduction expressive. Le psychanalyste n’est pas le soi-disant névrosé, le critique d’art n’est ni l’artiste ni l’œuvre d’art et le philologue n’est ni l’agent ni l’audience à qui s’adresse la métaphore.
2. Le langage comme une pure expression
Le langage n’a de fin en soi que la traduction de la pensée. Cette traduction est l’extériorisation d’un monde psychique interne qui veut se dévoiler. D’où la nature parfois inconsciente du langage dans le lapsus. Le langage est le médiateur entre ma conscience et mes pensées obscures. L’essentiel est de saisir ses pensées et de leur donner forme que cette forme soit rationnelle, esthétique ou métaphorique. La poésie peut jouer sur l’effet des mots plus que sur la clarté rationnelle de la phrase. L’orateur diplomatique peut jouer sur l’effet des figures de style, l’intonation et la gestuelle plus que sur la démonstration rationnelle des arguments. Le thérapeute peut jouer sur l’interprétation symbolique des mots sur la journée psychique du patient, plus que sur l’articulation censée de ses révélations. Les mots peuvent s’articuler dans un ordre plus ou moins étrange, mais l’essentiel n’est pas toujours la clarté, mais l’effet de l’expression quand on se laisse envahir par les sentiments partagés que les étranges dispositions recèlent. De ce fait, le discours rationnel n’est qu’une modalité. Il cherche l’accord des raisons, et veut démontrer sa transparence cohérente qu’exprimer. C’est un effort certes avantageux à maîtriser, mais il reste contingent.
Conclusion
On s’était demandé comment le langage pouvait à la fois s’exprimer d’une manière intuitive, alors qu’il demande un éclaircissement de la rationalité. Nous sommes parvenus à une conclusion qui fait l’état de plusieurs éclaircissements. La raison n’est nécessairement pas à l’œuvre quand le langage a pour fin la transmission instinctive de l’information par le signal. Le langage ne demande pas non plus le raisonnement quand celui-ci veut communiquer d’une manière intuitive. Toutefois, dans le souci de faire l’accord des raisons, le langage doit être rationnel. De plus, si le langage est la condition d’une pensée qui pour être pensée doit être consciente d’elle-même, alors il se doit d’être autonome dans l’effort rationnel. Mais en fin de compte, on constate que le langage n’a de visée originelle que l’expression. La communication rationnelle en est une modalité. La nature symbolique du langage montre que l’effet expressif prime pour que l’on puisse véritablement apprécier le contenu effectif sans le dénaturer.