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Peut-il y avoir de science purement théorique ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La théorie est un ensemble propositionnel de nature conceptuelle qui donne une interprétation des faits. Elle est conceptuelle et représente une structure d’idées qui sont ingénieusement articulées entre elles pour rendre compte d’une rationalité. Ce qui fonctionne efficacement dans les sciences mathématiques lorsque l’enchaînement de ses propositions reste cohérent. Toutefois, quand on entend parler de théories scientifiques, la théorie reste-t-elle toujours dans cette position formelle ? La science désigne l’ensemble des domaines de recherches, et par ailleurs, de leurs produits conceptuels, qui dans l’idéal et dans l’usage moderne suivent la méthode expérimentale. La méthode expérimentale fait appel à l’expérience sensible pour observer activement les hypothèses. Or, la théorie en tant qu’elle est une structure abstraite qui risquerait de trahir cette expérience. Comment donc la théorie et l’expérience peuvent-elles aller de concert dans la réalisation scientifique ? Nous verrons en premier lieu la nature abstraite de la théorie qui est nécessaire à la science. Nous développerons aussi en second lieu l’incoercibilité de la recherche scientifique à l’observation de l’expérience sensible. Enfin, en dernier lieu, nous essayerons de dépasser la contradiction théorie-expérience par une approche épistémologique de la science.

Partie I : La pure théorie pour alimenter la science

1. Le formalisme rationnel pour l’objectivité

Galilée nous affirme que « la nature est écrite en langage mathématique ». L’idée est que la logique mathématique fonctionne si bien comme la syntaxe de nos théories sur la nature que cette dernière semble en avoir intrinsèquement les caractères. La théorie se réalise comme l’interprétation des mécanismes de la nature. Elle dévoile les propriétés immuables de cette dernière. C’est ainsi que l’on parle de « loi de la nature ». Il y a un dévoilement sur ce que nous offre l’expérience de la nature, soit des phénomènes, qui sont obscurs par leur inconsistance. La nature se donne à nos sens par des bouts particuliers et changeants, qui ne peuvent pas satisfaire la raison objective. Derrière l’apparente volatilité de l’expérience sensible, la théorisation tente de saisir ce qui est immuable. La théorie du grec « téoria » signifiant « contemplation » désignait pour les penseurs grecs, la saisie de la dimension de l’« être des choses », au-delà de ce qui apparaît changeant dans le monde sensible. En rationaliste cartésien, cela renvoie à l’ « essence » des choses. Le caractère d’immuabilité est crucial pour l’universalité de la connaissance tant dans sa communication que dans sa confiance.

2. La déduction pour s’assurer de la cohérence de nos interprétations, mais surtout de produire des théories qui ont leur autonomie

Mais encore, la véritable force rationnelle de la théorisation est dans la démonstration. La démonstration rationnelle de la théorie est représentée efficacement par la déduction. La déduction est comme telle qu’Aristote conçoit son syllogisme « un discours tel que, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement par le seul fait de ces données ». La démonstration par cette conclusion nécessaire assure la cohérence de nos propos, mais surtout nous offre une nouvelle connaissance. La démonstration pose nécessairement des principes intuitifs comme bases, ces principes sont intuitifs puisqu’ils sont des évidences au même titre que les propositions qui ont elles-mêmes leur validité rationnelle. Dans le théorème d’Euclide, on pose cinq principes qui se soutiennent entre eux sans se contredire. Ces cinq principes vont fonder et féconder toute une dimension géométrique dite euclidienne. La dimension géométrique va appuyer les modèles théoriques de la science physique, comme celui de la physique mécanique de Newton. On notera aussi les dimensions théoriques non euclidiennes comme celle de Riemann et de Lobatchevski qui vont assister les théories de relativité d’Einstein. On peut comprendre dès lors que les théories scientifiques peuvent dans leurs fondations n’être soutenues par des propositions qui n’ont d’autorité que par leur rationalité. La physique théorique dans la dimension quantique est soutenue par tout un corpus théorique qui structure son observation pour qu’il n’y ait pas à proprement parler d’observation « expérimentale », mais d’observation purement mathématique. Les accélérateurs de particules qui « observent » le comportement des particules élémentaires n’observent pas directement la réalité phénoménale de ces particules, mais un ensemble de dispositifs théoriques mathématiquement cohérents dans leur articulation.

Une science purement théorique fonde sa pertinence dans son impeccable objectivité et de sa féconde structure déductive. Est-ce suffisant à fonder la visée de la science comme productrice de connaissances de la nature, qui  en soi ne peut se donner que par l’expérience sensible ?

Partie II : La science doit se fonder sur l’expérience

1. La science doit partir de l’expérience

Revenons à cette évidence que si la science a pour but d’expliquer les phénomènes, elle doit donc commencer ses observations à partir de ces derniers. Or, le phénomène en tant qu’elle est « ce qui apparaît » est une expérience de ce qui est « éprouvé ». Il faut remarquer par là que si la présence phénoménale d’une réalité est à notre conscience, c’est que nous la percevons d’abord nécessairement par l’expérience sensible. La Science doit donc légitimement partir des données de l’expérience.

2. La science doit se détacher de la vacuité de la raison métaphysique par la réfutabilité expérimentale

Cependant, il ne suffit pas seulement de se baser sur des expériences, il est utile de valider les interprétations qu’on en fait par des expériences. Les expériences sont des impressions et ces impressions sont organisées par notre esprit comme des compositions qui ont un sens tout d’abord subjectif. Or, dans la subjectivité de cette composition de l’esprit  on peut héberger des éléments qui n’ont aucune ou peu de pertinence avec l’objet elle-même. Ces éléments qui corrompent la perception objective de l’objet se rangent de nos sentiments personnels à nos idéologies partagées. L’illusion de ces éléments est dans leur nature métaphysique qu’est la valorisation d’une finalité. En interprétant un phénomène, on détermine les relations de causalité. On détermine ce qui est la cause d’un effet et de cet effet un autre effet. Le finalisme métaphysique ne s’arrête pas au comment du phénomène, soit à seulement décrire le mécanisme des enchaînements de ses causes. Cette position métaphysique, en réponse à la question d’un « pourquoi », postule que ce mécanisme a une certaine raison d’être vers laquelle il tend nécessairement ; c’est la finalité. Le problème de la finalité est qu’elle possède une visée interprétative fondamentalement anthropomorphique. Elle est anthropomorphique, car elle est la transposition gratuite du caractère humain de la volonté dans les phénomènes naturels. Il nous est difficile par exemple de ne pas considérer que l’œil a « été fait pour » voir et non que ce dernier soit le produit du conditionnement ou de l’adaptation de l’organisme à un environnement peu propice au simple toucher ou à l’odorat. Si la seconde hypothèse est réfutable expérimentalement, le premier ne l’est pas. D’où le problème de l’interprétation métaphysique à pouvoir signifier tout et rien. L’épistémologue Karl Popper dans Conjectures et réfutations nous fait la distinction de la théorie scientifique des simples spéculations en disant « Une théorie qui n’est réfutable par aucun évènement qui puisse se concevoir est dépourvue de caractère scientifique. Pour les théories, l’irréfutabilité n’est pas une vertu mais un défaut ».

Science et expérience semblent donc être inséparables. Cependant, si la théorie fonde nécessairement la science alors entre  la nature de ces deux approches apparemment contradictoires, il doit y avoir un malentendu.

Partie III : La position épistémologique de la science

1. Le problème du réalisme scientifique naïf

La communauté scientifique peut-être généralement divisée en deux positions philosophiques. Une de ces positions est celle du réalisme scientifique naïf. Cette position soutient que la Science, et donc la méthode expérimentale, lorsqu’elle est concluante dans ses observations expérimentales, nous apporte des correspondances adéquates à la réalité de l’objet observé. Le problème de cette position est qu’elle renforce la contradiction entre la nature abstractive de la théorie et de la nature concrète du phénomène qu’elle tente d’expliquer. En effet, si la théorie doit rationnellement encadrer la sensibilité particulière du phénomène ne trahit-elle donc pas ce dernier? Le réalisme naïf oublie que l’expérience ne s’impose pas passivement à notre conscience. Il oublie qu’entre l’objet et l’expérience il y a un sujet qui doit nécessairement adapter cet objet à la nature du sujet. La nature de ce sujet est justement la rationalité. La rationalité n’est pas le réel qui se donne sans conditions, mais la condition même de la présence du réel à notre conscience. La rationalité est ce souci d’ordre et de cohérence de sorte que dans ce qui apparaît comme chaotique on peut toujours identifier des sens et des directions familières. Si justement l’esprit reconnaît la contradiction, c’est qu’il le refuse « en apparence ». Ainsi, le réalisme scientifique naïf confond la nécessité de rationalité et la construction rationnelle. Le second n’est que le produit plus ou moins élaboré mais nécessaire du premier.

2. La « position » scientifique sur la réalité

Il nous faut plutôt prendre cette autre position de la Science qu’est le réalisme épistémologique. Si l’épistémologie signifie « théorie de la connaissance , l’adjectif épistémologique dénote l’écart méta conceptuel entre le sujet et l’objet. Cet écart méta-conceptuel prend acte de la capacité du sujet à transcender et à penser le mécanisme de la réalisation conceptuelle, soit donc des coulisses de cette dernière. Le réalisme épistémologique est d’abord un réalisme. C’est un réalisme car ne pouvant nier entre la conscience l’implication de l’objet d’une expérience et d’un sujet observateur, il accepte au moins la réalité d’une extériorité observable et interprétable. C’est l’analogie de la montre fermée d’Einstein et d’Infeld qui pense que l’ingéniosité humaine peut définir des théories objective pour expliquer le mécanisme interne de la montre à partir de l’observation des phénomènes observables comme la rotation des aiguilles, leurs sons, la forme volumique, etc. Elle est aussi épistémologique et reconnaît qu’on ne pourra jamais comparer nos théories les plus pertinentes au mécanisme caché de la montre. Ce que l’on peut faire c’est rationnellement vérifier la pertinence de la mise en place de nos dispositifs d’observation par rapport aux réactions du phénomène. Mais encore, de voir si ces dispositifs répondent adéquatement aux implications théoriques concernées par l’expérience. De sorte que si l’expérience n’est pas concluante, le résultat reste tout de même positif puisqu’on gagne en perspicacité dans l’évaluation de la pertinence des dispositifs en jeu. Le réalisme épistémologique comprend qu’il y a donc un monde observable mais qui ne se donne pas passivement ni ne s’offre sans résistance phénoménologique, soit la résistance de son objectivisation à travers le prisme de son apparence.

Conclusion

En résumé, on peut donc affirmer que la théorie est le garant de l’objectivité par sa nature abstraite et rationnellement autonome dans sa cohérence, cependant la Science nécessite de se réaliser à partir de l’expérience et par ailleurs de se vérifier par elle. Alors, par contradiction, il y a une naïveté à croire que la Science répond adéquatement au réel. En fait, si on dit bien une théorie scientifique et non une vérité scientifique, c’est dans l’humilité qu’il y a une conscience épistémologique qui sépare le sujet et l’objet observé. La théorisation fonde tout l’édifice scientifique non pas dans une perspective sceptique comme quoi on n’aura jamais accès à la vérité intrinsèque de l’objet réel, mais dans une perspective optimiste que l’on fait des progrès dans la compréhension des opérations de l’esprit dans le monde phénoménal.

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