Dissertations

Peut-on revendiquer le droit d’être irresponsable ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La responsabilité désigne ce que l’on doit assumer et ce qui nous est imputable par nos actes et nos décisions. Dans l’idéal, la responsabilité se doit être sous-tendue par l’idée de justice dans le sens où chacun a une obligation proportionnelle à la particularité d’une situation. Toutefois, la responsabilité ne se décide pas toujours de cette manière subjective. Dans le cadre du droit positif, sa rétribution a une nature généraliste et donc objective. Dès lors, si elle ne répond pas à la justice, on se demande si on ne pourrait pas revendiquer le droit d’être irresponsable. Cependant, il y a un problème. La rétribution objective des responsabilités par le Droit a le souci de l’intérêt général. Ce qui revient au souci d’une justice, mais qui cette fois est égalitariste, soit qui ne discrimine personne. Comment concilier le caractère subjectif et objectif de la responsabilité ? Comment prendre ce phénomène dans une explication rationnelle ? On tentera de résoudre ce problème auquel nous sommes confrontés, à travers le plan suivant : premièrement, il nous faut partir des évidences de la nécessité de la responsabilité. Deuxièmement, il est nécessaire de voir en quoi la responsabilité pourrait être moralement injuste. Enfin, dernièrement, on proposera un dépassement qui articulera nécessairement les deux concepts opposés de la justice dans l’idée d’une interdépendance entre responsabilité morale et responsabilité civile.

Partie I : On ne peut pas revendiquer le droit d’être irresponsable parce que ce serait immoral

1. D’un je ne peux pas échapper à mes responsabilités morales

D’abord, il est scandaleux dans une perspective morale de vouloir nier intentionnellement le fait de ses actes et de ses décisions.  Le fait est que je ne peux pas fuir ma conscience. La conscience est cette présence de soi à soi d’une manière incoercible dans nos pensées et dans nos actions. Il s’agit bien de moi qui aie agi de telle sorte et non d’un autre, d’où l’absurdité de la fuite. Ignorer cette présence intime ne serait que de la lâcheté, car j’opte pour la fuite devant ce qui me concerne de fait, et de la malhonnêteté, car je me nie intentionnellement devant ma propre conscience. De deux, ne pas répondre de ce que je dois à autrui par les conséquences de mes actes, signifie implicitement que je n’accorde à autrui aucune signifiance ou du moins qu’autrui ne soit qu’un moyen par lequel mon raisonnement égoïste tente de satisfaire ma conscience. Dans ce cas, il y a le fait de se déresponsabiliser d’une manière narcissique, voir solipsiste, car on ne présente le monde que dans sa révolution autour de notre personne surestimée.

2. Un droit de revendication à l’encontre de la responsabilité serait contradictoire à l’essence même du droit

Ensuite ériger en droit l’irresponsabilité, soit le droit de manquer à mes responsabilités, déstabiliserait le vivre-ensemble comme fondement de ce que l’on appelle une société. Le droit est cet ensemble de règles qui gèrent la vie d’un groupe de personnes autonomes. Pour le bien-être de la société, il faut limiter ce que l’on considère comme la liberté naturelle des individus, une liberté absolue dans le sens de pouvoir suivre tous nos désirs. Cette limitation rend compte de notre véritable liberté dans l’autonomie, la liberté de s’obliger soi-même, prenant la forme de règles formalisées, soit écrites et donc retenues pour s’y référer dans les situations d’injustices, qui prescrivent, interdisent et autorisent. L’enjeu du droit est politique dans le souci  de l’égalité avec la juste répartition des avantages et des charges de chacun. Ainsi, selon cette répartition proportionnelle du droit, la revendication d’un droit à la responsabilité est doublement irrationnelle. D’un, nul ne peut en principe se revendiquer titulaire d’un droit, car celui-ci est général et objectif. C’est pourquoi un tiers représenté par les institutions juridiques à l’instar du juge doit faire l’intermédiaire entre la loi et la situation d’un litige. De deux, cette supposée « revendication » n’en serait pas fondamentalement une. Une revendication demande une légitimité, or celle de l’irresponsabilité est contraire à la conscience morale, soit une légalité. Le principe de l’irresponsabilité qui refuse la répartition politiquement justifiée des charges refuserait même l’essence de la légalité qui est la positivité.

L’irresponsabilité est non seulement moralement injuste, mais aussi politiquement non-viable. Cependant, si on retient particulièrement cet aspect positif du droit, le droit n’est pas forcément moral et de facto les responsabilités qui me sont dues peuvent ne pas l’être non plus. Ce qui nous amène à aborder la deuxième partie de notre dissertation, et la nécessité d’affirmer que les responsabilités civiles sont fondamentalement amorales.

Partie II : Les responsabilités civiles sont fondamentalement amorales

1. Mes responsabilités peuvent être fondées sur des droits coutumiers injustes, indignes de la personne humaine

D’abord, il ne faut certainement pas oublier que le droit peut-être fondé sur des principes qui ne sont pas parfois ouverts à la discussion civile. Les citoyens peuvent n’avoir aucun droit législatif ni directement ni indirectement, leur souci à cet égard pouvant ne se limiter qu’à la simple observation des lois. Le droit peut par exemple être fondé sur des coutumes plus ou moins moralement établies et qui se sont formalisées. Ce qui pose problème, étant donné que si les droits ne sont pas fondés sur des principes légitimes  et donc moralement justes, alors mes responsabilités civiles d’où elles découlent ne le sont pas non plus. La culture nous apprend que les hommes s’organisent différemment selon les conditions historiques de l’évolution de leur société. Ainsi, par exemple, il fut un temps où dans l’antiquité l’esclavage fut justifié par des raisons économiques. La main d’œuvre peu coûteuse dans les « butins » de guerre, c’est-à-dire les prisonniers de guerre rendus esclaves, fut profitable au développement des grands empires, comme celui de Rome. On n’oubliera pas non plus que les Grecs de l’antiquité réputés comme les pères de l’éthique, n’avaient pas de priorités humanistes d’une manière considérable à l’égard de la personne de l’esclave.

2. La rétribution des responsabilités serait fondamentalement amorale

Il faut voir par là comment nous percevons le Droit positif, étant lui-même le produit des conditions historiques de sa société. Le droit positif répond à des problèmes politiques liés à certaines conditions d’un point de l’histoire de sa société : il est relatif à des conditions qui évoluent. Il n’est pas fixé dans l’universalité spatiale et intemporelle qu’exigent les idéales morales. Par conséquent les charges que l’on peut nous imputer qui sont formalisées par le Droit nommé les responsabilités civiles, n’ont de souci que de résoudre les problèmes des conditions réelles d’un certain point de l’histoire d’une  société. Les penseurs normativistes du droit juridique à l’instar du juriste Hans Kelsen dans la Théorie pure de la justice décrivent les règles du droit comme un simple système de règles dont la nature à retenir est d’être descriptive, soit l’essentiel est de comprendre les conséquences de certains actes, si on agit de telle sorte. De ce fait, les entités législatives et judiciaires peuvent de droit être peu, ou aucunement, concernées par la justice subjective.

Face à cette apparente contradiction entre responsabilité morale et responsabilité de droit, il nous faut penser à les articuler et ceci dans leur nécessaire interdépendance.

Partie III : La responsabilité morale et civile ne peut être qu’interdépendante

1. Le caractère purement positif du droit et donc de la responsabilité civile est insuffisant à se soutenir lui-même sans l’autonomie morale

Il faut reconnaître que le droit ne peut ignorer le caractère autonome des personnes qu’il réglemente. Certes, la répartition des charges se soucie d’un bien-être général dont la finalité étant, rappelons-le, une société harmonieuse fondée par des règles et des principes moraux. Dans cette perspective, il faut considérer que les hommes ne suivent pas aveuglément les règles, il faut à ces dernières un caractère rationnel suffisant, la seule coercition ne peut pas soutenir leur institution. En fait, les règles du droit ne peuvent que reconnaître qu’elles s’appliquent comme obligation et non comme contrainte. L’obligation est dotée du caractère moral de l’autonomie. L’autonomie morale est cette conscience de soi qui se donne à lui-même ses ordres en raison de la fin raisonnable d’un principe. En ce sens, la responsabilité ou l’irresponsabilité ne peut virtuellement y échapper. Prenons le cas de la désobéissance civile, qui est un droit qui correspondrait à un caractère d’irresponsabilité. La désobéissance civile prescrite que lorsque les lois ne répondent plus à leur légitimité, qu’elle soit morale ou politique, on a alors le devoir de ne pas les respecter. Cette forme de désobéissance à première vue semble rendre légitime l’irresponsabilité par son caractère réfractaire. Néanmoins, bien au contraire, elle représente une grande responsabilité qui est celle de l’autonomie morale. Accepter de désobéir à la loi, et par extension tout ce qui adviendra par cette décision, c’est mettre en jeu cette capacité fondamentale du choix moral.

2. Il nous faut équilibrer la responsabilité morale et civile dans la confiance à ce réalisme judiciaire qu’est l’institution juridique moderne

Le droit comme nous l’avons proposé est fondamentalement politique étant donné que son souci majeur est la gestion de la cité. Toutefois, nous avons aussi vu qu’il s’agit de gérer rationnellement un vivre-ensemble de personnes autonomes. Ces considérations amènent à suggérer la nature réaliste du droit en ce qu’il comprend à la fois la nature autonome de l’homme et la nécessité de répondre aux problèmes politiques des conditions évolutives. Il nous reste donc qu’à mesurer ces deux faits indissociables dans une solution elle-même réaliste. Cette solution se trouve justement dans le modèle moderne de l’incarnation de la justice qu’est l’institution juridique moderne. Prenons l’exemple du tribunal pénal moderne  qui est l’instance judiciaire qui interprète les lois afin de charger proportionnellement les peines aux délits dont on est accusé d’être responsable. Le tribunal pénal considère cette situation de façon réaliste, qu’elle mesure les exigences morales en articulation avec les exigences politico-sociales. D’une part, le tribunal concède à la justice morale par la représentation de celle-ci à un jury public. Puis, il offre à l’accusé la chance de se défendre avec un expert en juridiction qui interprétera la loi en sa faveur subjective, à bien sûr entendre le sens de subjectif ici comme la particularité de toute situation. L’institution juridique moderne peut ainsi considérer à la fois la justice équitable, l’autonomie de l’individu et les exigences sociales.

Conclusion

En résumé, la responsabilité est nécessaire d’un point de vue moral, mais aussi d’un point de vue politique dans son traitement. Il aurait semblé absurde de la nier au nom du droit  que ce dernier représente ce qui est juste ou ce qui est légal. Cependant, on remarque justement que dans ce caractère positiviste du droit que ce dernier semble fondamentalement être un système amoral. En effet, c’est vite oublier que le droit est toujours institué pour s’appliquer à des personnes morales dans leur autonomie. Ainsi, la responsabilité répartie par le droit n’est pas une contrainte, mais fondamentalement une obligation. En définitive, la justice d’une responsabilité morale et sa raison politique sont articulées d’une manière réaliste par les institutions juridiques modernes.

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire