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Pouvons-nous juger nous-mêmes de la moralité de nos actes ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Un jugement est un avis sur la valeur de quelque chose. La moralité quant à elle désigne la qualité morale d’un acte. D’une manière générale, est moral ce qui est conforme à l’idéal d’un bien que l’on porte en nous. Cet idéal présuppose un caractère universel sans quoi la morale perdrait toute sa dimension rationnelle. Se demander si nous sommes capables de juger nous-mêmes de la moralité de nos actes, c’est donc questionner l‘aptitude du sujet à clairement discerner le bien et le mal. Toutefois, si on doute  du sujet pensant sur cette capacité, que serait-il alors de la signifiance de la conscience morale ? La conscience morale est cette convocation de la pensée à elle-même dans une dimension morale, d’où le sentiment de remords et de culpabilité. Cette conscience n’aurait alors aucune pertinence si le sujet n’a aucune prise sur l’évaluation de ses propres actes.  Pour résoudre ce problème, nous développerons dans une première partie en quoi nous serions le mieux placés pour juger de la moralité de nos actes. Dans une deuxième partie nous discuterons de la subjectivité de cette position, une subjectivité qui risque de ne pas respecter l’exigence d’un jugement qui se doit d’être universel. Enfin dans une dernière partie, nous essayerons de démontrer en quoi notre conscience morale reste essentielle dans le jugement moral.

Partie I – Nous sommes le mieux placés pour juger de la moralité de nos actes

1. Nous avons l’intimité de la conscience de nos actes

En premier lieu, il semble évident que celui qui juge ses actes porte ses actes à sa conscience. En tant que sujet et spectateur direct, nous serions donc dans la meilleure position pour comprendre nos actes et en donner un certain avis. Par cela, nous comprenons nos faiblesses et nos points forts. Nous sommes aussi avisés de la teneur de nos actes par l’expérience de nos émotions, de nos sentiments, de nos instincts et de nos désirs dans leur réalisation. De ce fait, nous sommes ceux qui peuvent les présenter adéquatement devant le tribunal de notre propre conscience. De cette présentation découle le sentiment de remords, de regrets ou de justice. Des sentiments qui font office de jurés et qui nous poussent à examiner plus scrupuleusement la conformité de nos actes aux valeurs morales idéales que l’on a admises.

2. Nous reconnaissons par notre sensibilité ce qui est bien et mal

Ensuite, il faut remarquer que l’idée du bien et du mal peut être d’une manière primitive réciproquement dérivée de la sensation du plaisir et de la souffrance. L’idée est que l’expérience de ces derniers soit instinctivement à la base de ce que l’on accepte ou de ce que l’on refuse de subir ou de faire. Selon Epicure dans sa Lettre à Ménécée : « c’est le plaisir que nous avons reconnu comme le bien premier et congénital, et c’est à partir de lui que nous commençons à choisir et à refuser ». Il s’ensuit que le vieil adage : « ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas te faire à toi-même » est souvent pris comme la règle d’or de la moralité. Dès lors, par empathie on peut comprendre les conséquences de nos actes. On peut d’une manière sensible saisir le tort ou le bien que l’on fait à autrui comme si le plaisir et la souffrance étaient les sensations les mieux partagées du monde.

La position intime de la conscience de nos actes et leur sensibilité semblent donc être les premières conditions du jugement moral. Néanmoins, cette position n’est-elle pas aussi dangereusement subjective ?

Partie II – Nos jugements ne sont pas toujours objectifs

1. Nos jugements peuvent n’exprimer que notre subjectivité

Les jugements qui semblent spontanés sous le sentiment d’évidence sont à se méfier, car il arrive qu’ils ne soient que des perspectives particulières, à l’instar des préjugés culturels par l’internalisation  des  normes sociales ou des sentiments personnels produits par des émotions incontrôlées. L’esprit humain ne répond pas de suite aux stimuli extérieurs avec des idées réfléchies. Pour réfléchir, il faut que l’esprit retourne sur lui-même en vérifiant scrupuleusement la validité d’une perception. En effet, la nature spontanée de l’esprit est d’abord de répondre avec les perceptions auxquelles il est habitué. Ces perceptions habituelles sont principalement définies par sa culture, soit de sa conception idéale du monde. Une conception qui peut être dogmatique ou isolée par la société. Puis, il y a aussi sa manière de réagir émotionnellement aux situations. La nature d’un esprit qui se laisse facilement envahir par ses émotions fortes se soustrait à une introspection rationnelle. Dès lors, de telles réactions qui n’expriment que des particularités culturelles et personnelles posent le problème d’objectivité du jugement du sujet sur lui-même. Un problème d’objectivité, car la moralité se voulant être juste pour tous, exige des principes qui ne discriminent personne.

2. Nous n’avons parfois qu’une perspective incomplète de nos actes

Il faut savoir qu’un acte n’est jamais isolé de sa situation. Si un jugement moral se veut être objectif, dans le sens où il doit rendre compte de ce qui est juste ou injuste sans discrimination, il doit comprendre au mieux la situation de l’acte qu’il juge. Or, la perspective du sujet sur la question n’est pas toujours la plus pertinente. Considérons par exemple toutes les instances compétentes que le tribunal convoque lors d’un procès. Il existe différents experts pour chaque domaine se rapportant à la situation du litige. En fait, juger moralement un acte ne signifie pas seulement donner son appréciation à partir de la spontanéité d’un certain « bon sens » au risque des préjugés culturels ou des préjugés fondés sur l’habitude. Il est nécessaire de bien développer le pourquoi et le comment de la situation résultant de l’acte pour en apprécier la juste valeur. Pour cela, étant donné que le sujet n’est pas toujours être le mieux informé sur la situation, il semble évident que son jugement doit faire preuve d’humilité et de coopération avec des experts.

Il y a donc un intérêt moral de transparence et de justice à se méfier de sa subjectivité. Par ailleurs, par la négation totale du sujet moralement conscient, l’idée de responsabilité qui est par principe à la base de la moralité ne risque-t-elle pas de devenir insignifiante ?

Partie III – Y a-t-il plus de morale dans le fait que nous puissions juger nous-même de la moralité de nos actes ?

1. L’importance de la conscience morale dans le jugement moral

D’abord, revenons à cette condition que si l’on s’accorde à dire que le sujet n’est pas apte à se juger lui-même de sa moralité, alors l’idée de conscience morale n’aurait plus aucune importance. L’idée de la conscience morale ne serait qu’une illusion, car elle est contradictoire dans le sens où elle n’aurait pas de valeur objective. Ce serait confondre la conscience morale comme la condition de la morale à la valeur morale de ce qui la stimule. Pour Kant, le sentiment moral est un déclencheur important puisque « toute conscience de l’obligation se fonde sur ce sentiment pour prendre  conscience  de  la  coercition  qui  est  inscrite  dans  le  concept  du  devoir ». La conscience morale est donc à la base de la moralité, soit plus précisément à la base de la personne morale qui se sent par son effet dans l’obligation du devoir. Par ailleurs, ce sentiment invite la personne à se positionner comme un sujet actif capable de véritablement juger en ne se limitant pas à juste considérer ce qu’il perçoit. Il y a dans l’évaluation du jugement un acte de réflexion. Certainement comme on l’a mentionné, la valeur de ce jugement peut être douteuse. La conscience sous la forme de l’inquiétude ou de la culpabilité peut être faussée sur l’idée que sa culture se fait du bien et du mal. Il n’empêche que cette conscience se sente responsable, que le sujet se présente à sa pensée comme celui qui a agi et qui envisage la conséquence de ses actes et surtout qui aurait pu faire autrement. Le véritable sujet moral n’est pas celui qui régurgite d’une manière automatique, passive et spontanée les préceptes moraux que ceux-ci soient universellement admis ou les produits d’une éducation particulière. Le sujet moral est d’abord celui qui prend conscience de ses actes, de sa capacité à choisir et même de son obligation à choisir, soit en définitive d’être un sujet responsable.

2. Le devoir moral de juger de la moralité

Il est donc un devoir moral de faire l’effort d’un jugement rationnel sur la moralité de nos actes. Le problème n’est pas que le sujet serait en soi inapte à dépasser la subjectivité. Le problème est que le jugement rationnel demande un effort de remise en question qui doit suspendre la validité de toutes nos valeurs admises pour transcender la particularité. Ainsi, ce qui est véritablement important ce n’est pas de prime abord savoir si le jugement est conforme à une valeur morale ou non, mais plutôt l’intention d’un jugement qui réfléchit rationnellement sur lui-même. Cet effort de réflexion porte en lui la condition sine qua non de la morale qui est le sujet autonome dans ses pensées. Si Kant suppute, dans la Métaphysique des mœurs, que la réflexion de la conscience « représente à l’être  humain  son devoir dans chaque cas où intervient une loi, que ce soit pour l’acquitter ou pour  le condamner », c’est pour signifier son véritable rôle de veilleur. En somme, un jugement qui n’est que le produit d’une morale admise n’a de morale que dans le titre et non dans l’acte. Supposons qu’un homme dans ses comportements sociaux suit religieusement les préceptes de sa société particulière et qu’il se retrouve face à une contradiction dans ces préceptes. Cet homme devrait alors se retrouver dans l’obligation morale de remettre en question ces préceptes, malgré toute sa fidélité et de convenir de résoudre leurs contradictions. On y observera alors la véritable genèse de la réflexion morale : problématiser ses valeurs lorsque celles-ci ne répondent plus au souci de justice.

Conclusion

Nous avons posé la problématique de la désuétude de l’idée de conscience morale en étudiant si le sujet était inapte à se juger lui-même. Or, la morale a un souci d’objectivité que le sujet isolé dans sa subjectivité risque de compromettre. Dans la résolution de cette contradiction, il paraît évident que nous soyons le mieux placés pour saisir nos actes et donc pour les juger. Par ailleurs, notre sensibilité envers le plaisir et la souffrance ne peut nous inviter qu’à l’empathie, d’où la genèse de la compréhension altruiste comme la fondation primitive de la morale. Dans cette perspective, il existe un grand risque de subjectivité. Nos jugements ne sont pas toujours objectifs dans leur spontanéité sans prudence et ils peuvent toujours manquer de saisir complètement la situation de l’acte par sa connaissance réduite. Il faut comprendre l’enjeu moral de l’acte même de se juger. La conscience morale est irréductible à ses raisons qui elles peuvent être douteuses. La conscience morale reste toujours pertinente dans le sens où sans une prise de conscience et une remise en question, il n’y a pas lieu de parler de moralité. Il ne s’agit donc pas de savoir si nos jugements peuvent être conformes ou non à certaines valeurs morales valables, mais bien de savoir si l’on est capable d’une prise de conscience qui amènerait à une réflexion morale. Ainsi, le fait qu’il y a une particularité de la subjectivité n’empêche pas l’effort de la dépasser qui lui est déjà considéré comme possible par la prise de conscience. Ce qui revient à remarquer que ce qui importe en définitive c’est le devoir moral de répondre aux problématiques morales.

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